Rezension über:

Ruth E. Iskin: Modern Women and Parisian Consumer Culture in Impressionist Painting, Cambridge: Cambridge University Press 2007, xiv + 283 S., ISBN 978-0-521-84080-4, GBP 50,00
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Rezension von:
Françoise Lucbert
Professeure d'histoire de l'art, Université Laval, Québec
Redaktionelle Betreuung:
Hubertus Kohle
Empfohlene Zitierweise:
Françoise Lucbert: Rezension von: Ruth E. Iskin: Modern Women and Parisian Consumer Culture in Impressionist Painting, Cambridge: Cambridge University Press 2007, in: sehepunkte 8 (2008), Nr. 10 [15.10.2008], URL: https://www.sehepunkte.de
/2008/10/12561.html


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Ruth E. Iskin: Modern Women and Parisian Consumer Culture in Impressionist Painting

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Cet ouvrage représente une contribution importante dans le champ des études sur la peinture française de la seconde moitié du XIXe siècle. Non seulement fait-il état de la connaissance approfondie d'un large ensemble d'œuvres et d'images, mais surtout, qualité plus rare et donc plus méritoire, il renouvelle le regard sur l'impressionnisme pictural. L'étude met en rapport des tableaux d'Édouard Manet, de Mary Cassatt, d'Edgar Degas, de Camille Pissarro ou encore de Gustave Caillebotte avec les nouvelles habitudes de consommation qui sont en train de transformer profondément la société parisienne.

Ce travail longuement mûri s'intéresse de près à la place qu'occupent les femmes à l'époque de l'impressionnisme. L'originalité de l'approche, qui met à profit les récents acquis de l'histoire culturelle, tient au fait qu'elle ne considère pas uniquement le problème de la représentation des femmes - ce qui correspondrait à une méthode beaucoup plus classique que celle adoptée par Ruth E. Iskin. De fait, cette dernière cherche à ouvrir des perspectives inédites sur le rôle des femmes dans l'univers social, culturel et économique de l'avant-dernier siècle. Il est évident que cette réflexion s'appuie sur les travaux féministes ayant marqué les trente dernières années [1] et grâce auxquels l'histoire de l'art du XIXe siècle a pu considérer des questions aussi complexes que le genre (au sens de gender), la création au féminin, la sexualisation du regard, la féminisation du métier d'artiste, etc. En même temps, l'auteure vaut d'être saluée pour la finesse de ses analyses; son goût pour la nuance l'amène donc, à plusieurs reprises, à prendre quelque distance avec des points de vue qui lui apparaissent faux ou simplistes. Du reste, les femmes dont il est question ici ne sont pas les sujets (ou les objets!) passifs que la littérature spécialisée a pu dénoncer, souvent à juste titre, en s'arrêtant tantôt sur les modèles idéalisés ou déformés à l'envi par les peintres, tantôt sur des étalages de corps nus réifiés par le désir masculin...

Le titre choisi annonce clairement la couleur du projet puisqu'il situe la problématique autour des modern women, à savoir ces «femmes nouvelles» pétries de modernité et d'émancipation. Or, d'une manière tout à fait pertinente, Ruth E. Iskin lie l'émancipation féminine à l'indépendance financière des femmes que l'on voit dans la peinture impressionniste. Un des éléments les plus novateurs de l'ouvrage, qui donne en même temps sa force à la démonstration, consiste en effet à aborder l'univers féminin propre aux impressionnistes par le prisme de la société de consommation telle qu'elle est alors en train de se mettre en place. Car c'est bel et bien l'angle économique qui sous-tend l'idée selon laquelle les personnages féminins de Degas ou de Cassatt sont véritablement des acteurs essentiels au sein de ce que Ruth E. Iskin nomme la «culture de consommation parisienne» (parisian consumer culture). C'est aussi en fonction de cette hypothèse qu'il est possible d'affirmer que les modistes, serveuses, lectrices, buveuses ou encore spectatrices traversant maints tableaux impressionnistes sont des productrices et/ou des consommatrices à l'intérieur d'un système économique de plus en plus organisé autour de l'idée de consommation. L'analyse permet également d'éclairer sous un jour neuf le choix des lieux de prédilection de cette même peinture impressionniste: l'échoppe de la modiste, le café, la salle de concert, le théâtre, le marché ou le grand magasin sont autant d'endroits où les femmes modernes prennent activement part à la vie de leur temps. Ce faisant, Ruth E. Iskin tord le cou au cliché tenace voulant que les femmes de l'époque sont nécessairement tenues à l'écart de l'espace public; il semble au contraire que leur place grandissante dans la sphère publique les amène à jouer un rôle significatif au sein de plusieurs domaines, en particulier la mode et la création artistique. Enfin, il ne faut pas oublier que les consommatrices modernes sont au cœur de l'émergence d'un nouveau public, tantôt mixte tantôt exclusivement féminin, qui a forcément d'autres exigences, d'autres pratiques de consommation et, a fortiori, d'autres façons d'observer, d'apprécier et de pratiquer les arts.

Afin d'étayer sa thèse, l'auteure développe un système de comparaison basé sur l'examen de la culture visuelle propre à la période. L'élaboration d'un vaste corpus où se rencontrent des images et des textes extrêmement divers (illustrations, affiches publicitaires, textes promotionnels ou littéraires, extraits de catalogues de vente) met au jour des réseaux d'influences complexes allant de l'image ou du texte vers la peinture et vice-versa. D'ailleurs, il s'agit moins de s'attacher aux sources iconographiques d'un motif que de comprendre comment la peinture impressionniste émane d'un monde très largement dominé par la visualité. L'on appréciera à cet égard les heureux regards croisés qui renouvellent l'interprétation de tableaux pourtant aussi canoniques que La Loge de Cassatt ou Un Bar aux Folies-Bergère de Manet. Il faut au passage souligner la prise en compte d'œuvres beaucoup moins connues, notamment certains pastels trop peu commentés de Degas.

Un lecteur attentif pourrait certes relever, par-ci par là, certains points de détail qui mériteraient discussion. Mais la lecture de Modern Women and Parisian Consumer Culture in Impressionist Painting me semble si agréable et si stimulante que je propose plutôt de l'apprécier dans son ensemble et en fonction de sa perspective générale. La précision, la rigueur et l'intelligence de ces pages semblent au reste promettre une étude qui fera date.


Note:

[1] Sans pouvoir ici faire une liste exhaustive de la contribution féministe à l'histoire de l'art, Ruth E. Iskin affirme sa dette à l'endroit de pionnières telles que Eunice Lipton, Linda Nochlin ou Griselda Pollock. L'ouvrage fondamental de Tamar Garb: Sisters of the Brush, Women's Artistic Culture in Late Nineteenth-Century Paris, Yale University Press 1994 mérite d'être mentionné en raison de ses points de convergence avec la démarche de l'auteure.

Françoise Lucbert