sehepunkte 15 (2015), Nr. 9

Adrienne Mayor: The Amazons

Selon Adrienne Mayor, qui reprend une question posée dès l'Antiquité mais jamais tranchée, les Amazones des mythes grecs auraient bel et bien existé et les Grecs le savaient. La thèse est développée dans un ouvrage construit en quatre parties d'inégales longueurs: "Who Were the Amazons?", "Historical Women Warriors and Classical Traditions" (la section la plus importante), "Amazons in Greek and Roman Myth, Legend, and History", "Beyond the Greek world". Un appendice donne la liste des noms de plus de 200 Amazones ou femmes guerrières connus par la littérature ancienne ou les inscriptions sur vases. Le résultat est à la fois fascinant par l'ampleur des cultures embrassées et déconcertant par la méthode utilisée : images et textes considérés comme des réservoirs de faits (réels) qu'il conviendrait de dégager du récit (fictif); comparatisme permettant de réduire les différences culturelles au profit d'une réalité unique (celle des steppes eurasiennes); hypothèses interprétatives (notamment en archéologie funéraire) présentées comme des certitudes; cas singuliers devenant les signes d'une organisation sociale générale.

Depuis l'Iliade, les récits mentionnent un peuple, les Amazones, caractérisé par le fait qu'ont y trouve des femmes "équivalentes aux hommes". Poussant le raisonnement plus loin que J. Blok à qui elle emprunte l'analyse (Josine H. Blok, The Early Amazons. Modern and Ancient Perspectives on a Persistent Myth, Leyden, New-York, Cologne, 1995), A. Mayor conduit le lecteur vers une interprétation curieuse: antianeirai, "équivalentes aux hommes", se dit au féminin non pas parce que les Amazones étaient un peuple composé uniquement de femmes mais parce que la présence en son sein de femmes combattantes en était l'élément le plus caractéristique. En réintégrant les hommes parmi les Amazones, A. Mayor met en place son hypothèse principale: les Grecs faisaient allusion non pas à un peuple imaginaire (qui serait composé uniquement de femmes) mais à un peuple bien réel dont l'intérêt était qu'il traitait hommes et femmes à égalité. Autrement dit, les mythes grecs recèlent des pépites de vérité qui concernent non les Grecs mais leurs voisins barbares de la steppe.

Les fouilles entreprises depuis la fin des années 1990 dans les régions caucasiennes, notamment dans les kourganes, confirmeraient l'hypothèse: la steppe était habitée, depuis la fin de l'âge du Bronze jusqu'à l'empire romain au moins, par des peuples de cavaliers où femmes et hommes participaient de la même manière à la chasse et aux combats. La technologie la plus récente (analyse d'ADN) permettrait de vaincre les dernières résistances: certains des défunts porteurs de blessures de guerre et enterrés avec leurs armes étaient des femmes. Des études réalisées en 2003 sur la peau de momies gelées des monts Altaï ont permis de visualiser de magnifiques tatouages de cerfs et léopards entrelacés qui rappellent à la fois les costumes des ménades, les tatouages des Thraces et la bigarrure des costumes d'Amazones peints par les artistes grecs. Tout ce qui concerne leur sexualité, libre et robuste - une réminiscence de Johann J. Bachofen? -, leur manière de se comporter avec les hommes ou les jeunes garçons, leurs armes, le port du pantalon, leurs cultes est étudié avec la même méthode: retrouver, derrière les récits ou les images (des femmes identifiées comme Amazones selon des critères parfois incertains), des éléments aujourd'hui confirmés par l'archéologie.

Les grands mythes grecs autour des Amazones sont évalués de manière analogue : l'attaque des Amazones sur l'Attique est reliée à une expédition que les Amazones de Scythie aurait conduite un peu plus au nord, en Thrace. De l'Artémise d'Hérodote à l'Hypsikrateia de Mithridate en passant par Tomyris, Thalestris et Teuta, A. Mayor souligne la permanence et l'historicité des Amazones.

L'ethnographie et le folklore permettent d'enrichir le tableau en élargissant l'horizon. Le cycle épique du héros kirghiz Manas, où brille la cavalière Kyz Saikal, rappelle le cycle Penthésilée/Achille. Quant à la jolie Mulan, dont le nom signifie "magnolia" en chinois, elle ne déguisait pas seulement son sexe lorsqu'elle s'enrôlait dans les armées de l'empereur, mais également son ethnicité puisque, comme le déclare A. Mayor, son nom signifie "cerf" en langue caucasienne : Mulan était, en réalité, une Amazone originaire des steppes.

A la question posée, "But were Amazons real?" (11), dont l'auteure signale la récurrence à partir de l'époque moderne en omettant les discussions antiques qui avaient démarré au moins avec Palaiphatos au IVe siècle BC et que Strabon (XI, 5, 3) pouvait penser avoir définitivement tranché dans un sens négatif, le lecteur sera tenté de répondre oui. Oui, il y eut des femmes guerrières, oui, ces femmes pouvaient être admirées pour leur audace, leurs qualités, leurs victoires. A. Mayor a raison de l'écrire: il a existé, dans l'Antiquité, des femmes combattantes.

Cela dit, quel est le rapport entre ces femmes réelles et les Amazones, personnages fictifs de récits héroïques pourvus d'une dimension imaginaire et symbolique? Pourquoi, si les Grecs savaient que les Amazones étaient un peuple des steppes, leurs ont-ils donné des noms grecs? Pourquoi les ont-ils - avant le VIe siècle - représentées comme de parfaites Grecques, sans chevaux ni vêtement ni armes "scythes"? Alors que cet ouvrage lutte à juste titre contre certaines interprétations hâtives - notamment les stéréotypes de genre en archéologie - il propose une grille de lecture à laquelle on pourrait faire un reproche analogue: aux Grecs le mode de vie misogyne, aux Scythes (en réalité des peuples variés qui occupent l'espace allant de la mer noire à la muraille de Chine) l'égalité de traitement entre hommes et femmes.

Outre les questions de méthode, la gêne provient du postulat, énoncé dans l'introduction, selon lequel toutes les sociétés sont structurées autour de la distinction hommes/femmes: "The universal quest to find balance and harmony between men and women, beings who are at once so alike and so different, lies at the heart of all Amazon tales" (11)? Or, si l'on regarde précisément les résultats des fouilles de kourganes au Nord de la Mer Noire, la conjonction armes et sépultures de femmes/société égalitaire du point de vue du sexe s'avère bien délicate à mettre en œuvre. S'il y eut bien des femmes guerrières dans la région du Don dès le VIe siècle, celles-ci accompagnaient des hommes et constituaient une "classe", déterminée par un statut social et un âge. [1] Les femmes enterrées avec des armes - dont il reste difficile de savoir si ce sont des armes dont elles se sont servies ou des objets de prestige - appartiennent aux élites, ceux qui ont accès aux sépultures. Les exploits individuels de celles dont le nom a été valorisé proviennent de mises en récit qui s'inscrivent dans des compétitions civiques ou dynastiques. Ces femmes peuvent-elles être considérées comme représentatives de modes de vie partagés par tout un peuple?

L'ouvrage de Sylvie Steinberg, La confusion des sexes. Le travestissement de la Renaissance à la Révolution, Paris, Fayard, 2001, a montré que ce sont des conditions socio-économico-politiques qui permettent ou non aux femmes d'accéder au statut de combattantes, y compris au statut de chef de guerre. Ceci expliquerait que l'on trouve des femmes guerrières - que les érudits avaient déjà à leur époque dénommées Amazones - de la Chine à la Grande Bretagne mais aussi, en Afrique noire et dans les Amériques. [2] Ce que montrent les productions antiques, textuelles ou artistiques, c'est l'infinie variation des manières d'être une femme, y compris chez les Grecs qui ont inventé les Amazones. Il est sans doute vain de vouloir puiser en ces récits pour améliorer nos connaissances sur les Scythes, comme il est vain de penser que les récits des Khazakhs puissent nous en apprendre sur la manière dont les Grecs percevaient leurs Amazones. En revanche, le comparatisme, utilisé non pas pour réduire les variations mais pour souligner la diversité des possibles, est un bon argument pour souligner l'absurdité de la thèse selon laquelle les femmes n'ont jamais eu accès aux armes en raison de leur rapport particulier (et intime) au sang qui coule. S'il faut encore se battre sur ce front, ce livre marque indéniablement un point. En ce qui concerne les Amazones, ce livre rate sa cible: leur part fictionnelle l'emporte largement, c'est elle seule qui explique leur succès.


Notes:

[1] Iaroslav Lebedynsky: Les Amazones. Mythe et réalité des femmes guerrières chez les anciens nomades de la steppe, Paris 2009.

[2] Sylvie Steinberg: "Préface", in Guyonne Leduc (dir.): Réalité et représentations des Amazones, Paris 2008, 13-21.

Rezension über:

Adrienne Mayor: The Amazons. Lives and Legends of Warrior Women across the Ancient World, Princeton / Oxford: Princeton University Press 2014, XV + 519 S., 10 Kt., zahlr. Abb., ISBN 978-0-691-14720-8, GBP 19,95

Rezension von:
Violaine Sebillotte Cuchet
Université Paris I Panthéon-Sorbonne / ANHIMA Paris
Empfohlene Zitierweise:
Violaine Sebillotte Cuchet : Rezension von: Adrienne Mayor: The Amazons. Lives and Legends of Warrior Women across the Ancient World, Princeton / Oxford: Princeton University Press 2014, in: sehepunkte 15 (2015), Nr. 9 [15.09.2015], URL: https://www.sehepunkte.de/2015/09/26172.html


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